Friday, April 9, 2010

Article écrit par Gilles RIBOUËT de L'express, le 26 octobre 2009


Récemment primé pour un documentaire dans un festival français, Wassim Sookia, 34 ans, poursuit son bonhomme de chemin,comme si de rien n’était. C’est qu’on le connaît peu, ses films aussi. Pourtant, c’est avec succès qu’il représente Maurice dans des festivals à l’étranger.


Le fond d’écran de l’ordinateur de Wassim Sookia annonce la couleur : une caméra digne des meilleurs tournages. Un fantasme matérialiste pour ce fana de la pellicule. Récemment primé au festival de Mesnil le Roi en France pour son documentaire «Once upon a train», ce trentenaire au look décontracté, un peu rock, ne filme pas en se rêvant le plus grand réalisateur d’Hollywood.

Terre à terre, il tourne des courts-métrages avant tout par passion. Parce que «tout est une image». Partout, Wassim Sookia capte l’ambiance, l’imprime dans sa rétine et s’imagine la faire défiler sur pellicule. «Quand j’allais à l’école, je restais le nez collé à la vitre du bus à regarder ces lieux que j’empruntais tous les jours. Et pourtant, à chaque fois, je m’imaginais les plans d’une caméra», explique le jeune homme, confortablement installé dans son fauteuil de bureau en triturant ses baskets.

Donner à voir, pour voir au-delà de l’image. C’est au fond ce vers quoi tend le Curepipien concepteur dans la publicité. Ses différents films portent un message. C’est le cas de «rouzblézonnver», actuellement en compétition dans un festival à Séoul, en Corée du Sud, tourné l’an dernier à l’occasion des 40 ans d’indépendance de l’île. Sur un ton léger, il invite à la découverte de notre île, de l’entraide qui y existe, de la fierté d’être Mauricien, sans verser dans un discours maintes fois entendu. L’image a du bon quand elle fait réfléchir tout en offrant une parenthèse de détente. Et cela, Wassim Sookia sait le faire.

Très jeune, il apprend à manier une caméra. «Mon père a toujours eu une caméra, c’est ainsi que j’ai eu l’habitude d’en tenir une», se souvient-il. «Le weekend nous allions filmer les mariages. Cela a commencé en rendant un service et comme le résultat a plu, on a continué, et j’ai appris de cette manière à monter les séquences, ce qui n’était pas facile à l’époque de la VHS.»

Le week-end était ainsi devenu pour Wassim Sookia «une autre partie de la semaine» consacrée aux tournages. Son premier essai, il le fait à 12 ans avec ses cousins après avoir obtenu une cassette pour s’amuser à filmer. Ses yeux s’illuminent quand il se remémore tout cela. «Plus tard, vers l’âge de 14 ans, j’ai commencé à tourner un clip avec mon voisin qui était fan de Mike Brant», raconte- t-il amusé.

Deux autres clips ont suivi et «le dernier était plutôt réussi», juge-t-il, timidement. En se rappelant son voisin chanter en play-back sur du Mike Brant, Wassim Sookia ne peut s’empêcher de sourire. C’est que l’histoire est à la fois révélatrice et cocasse, car c’est que «je me suis rendu compte que c’est ce que j’aime faire».

Du coup, tous les moyens sont bons pour améliorer ses vidéos. «Je bricolais les traveling avec les moyens du bord. Par exemple, j’ai utilisé le support d’un vieux ventilateur sur roue ou encore un skateboard pour mes plans en traveling.» Résolument gagné par le virus de la caméra, Wassim Sookia opte pour le Lycée polytechnique afin de maîtriser techniquement son appareil fétiche. C’est avec des camarades du lycée qu’il tourne en 1995 «zour de gloire» avec Stéphane Bellerose qui a été contaminé par le même virus, avec le succès qu’on lui connaît, quelque temps après.

Toutefois, le jeune homme se rend rapidement compte qu’il n’a peut-être pas pris la bonne voie. Du moins pas exactement. «J’avais de plus en plus envie de faire de bons films, d’aller plus loin.»Changement de cap brutal. De l’électrotechnique il passe à la littérature afin de «lire pour voir en images». L’orientation est bien choisie puisqu’il est même devenu professeur de littérature au collège Darwin de Flacq ensuite.

«Je disais à mes élèves d’aller au-delà des mots, d’aller en quête du symbolisme, pour que des images en sortent.» La passion est telle qu’il la partage avec ses élèves. En 2002, «Tanga», le film de la consécration pour lui, parce qu’il lui «a permis de voyager pour la première fois», a été tourné avec ses collégiens. Depuis 1997 et le clip «Sité Blues» pour Bertrand de Robillard, Wassim n’avait rien tourné. L’enjeu était de taille d’autant qu’il s’était inscrit dans la catégorie professionnelle du festival de la Mauritius Film Development Corporation (MFDC). Alors que d’autres tournaient avec des équipes étoffées et beaucoup de matériel, Wassim Sookia, lui, se retrouvait avec seul, sur son tournage, son jeune acteur principal.

Les doutes qui l’assaillent sont vite oubliés quand il remporte le premier prix du festival de la MFDC, puisqu’il s’envole pour le festival du film insulaire à l’île de Groix en France, ou encore que le succès du film est confirmé en 2008 avec le Prix Jeunesse du festival du film de Le Port à La Réunion.

Avec Tanga, Wassim Sookia reçoit «la caméra de []ses] rêves» avec laquelle il a tourné tous ses autres films, dont le dernier en date, sous la forme d’un documentaire «Once upon a train». «C’était difficile de s’attaquer au documentaire.

Finalement, j’ai surtout été guidé par mes interlocuteurs», confie-t-il. On y redécouvre l’époque du chemin de fer. Entre nostalgie et voyage dans le temps, le documentaire renseigne avec justesse sur un héritage oublié, remplacé par l’asphalte.

Wassim Sookia a l’oeil du cameraman partout où il va. Il se donne à fond dans ce qu’il entreprend si bien que «je me sens vidé après un tournage. Du coup, je laisse passer souvent trois ans entre deux projets, bien que le rythme s’accélère maintenant». Véritable artiste, il n’est à la recherche d’aucune gloriole personnelle.

«Je suis surtout fier de pouvoir placer la petite île Maurice dans des festivals de films à l’étranger.» On regrettera que ses films, dont «rouzblézonnver» qui a également été présenté au Short Film Corner du Festival de Cannes l’an dernier ou encore son dernier documentaire, ne soient pas connus du public mauricien. Finalement, la seule gloire qu’il mériterait, serait bien celle-là : que les Mauriciens soient fiers de celui qui est fier d’eux, et qui raconte leur vie, en images. Naturellement.



(L'Express Quotidien)