Sunday, March 14, 2010

Ecrit par Wassim Sookia

Sang pour sang cinéma ?

Avec un père (feu Majeed Sookia) qui était toujours à cheval sur la dernière technologie audiovisuelle et une mère qui sait toujours bien reconnaître et apprécier les plans cinématographiques exceptionnels, je ne pouvais ne pas vouloir faire du cinéma. D’ailleurs depuis ma naissance mon père a toujours eu une caméra à la maison. On filmait des moments passés en famille au départ jusqu’au jour où mon père et moi avions commencé à filmer des mariages. J’avais 10 ans. Je tenais pour ma part la lumière et lui était derrière la caméra. Puis est arrivé le moment pour moi d’avoir la caméra en main – c’était l’extase ! Je faisais “mes plans”, je me disais toujours que les gens se devaient de voir ce film de mariage différemment, avec des plans loin de tout cliché – j’avais 14 ans. Aussi bien observateur que rêveur, je filmais les mariages mais je voulais réaliser des films – à 15 ans je tournais mon premier film avec ma sœur aînée, mes cousins et cousines. Tout était improvisé au fur et à mesure, et l’on procédait au montage en même temps que le tournage, en ordre chronologique, sur la caméra. Finalement, la cassette VHS empruntée et utilisée pour le film devait être restituée au propriétaire – un pote qui avait emprunté la cassette au poisson rouge de la nièce du cousin du grand-père de son voisin.

Mission : obsession des caméras !

Petit à petit s’est développée mon obsession pour les caméras. Pendant que mes amis de classes découpaient des photos de stars qu’ils collaient dans des cahiers spéciaux, je procédais au même exercice mais avec des photos de caméra. J’ai vite réalisé que je devais apprendre l’électronique afin de comprendre ces bêtes (les caméras, bien sûr !). C’est à l’adolescence qu’on se retrouve dans des trips insensés. Aussi à l’époque, vu que mon père était Chef Inspecteur de police et avait fait l’armée, je voulais être tout ça à la fois, et pourquoi pas agent secret ? Je dévorais abusivement le feuilleton Mission Impossible. Je voulais être un agent secret et réaliser des films ; alors je me suis mis à étudier l’électronique ! Pourquoi ? Je croyais que je pouvais inventer des engins complexes. Le trop de feuilletons nuit forcément ! Mais l’amour de la caméra prenait vite le dessus, et je finissais bien par mijoter quelque chose : mon plus grand plan pendant les vacances scolaires consistait à fabriquer des caméras en carton, et l’électronique aidant je pouvais même rajouter des lumières pour que ça fasse vrai... j’allais même jusqu’à écrire le mode d’emploi sur comment utiliser ma création... et je ne lésinais pas non plus sur l’appellation du modèle créé... je me souviens encore du WZR 500... fabriqué littéralement de toutes pièces. Et qui dit concevoir une caméra dit aussi apprendre tous les termes techniques et en saisir le sens... c’est ainsi que j’entreprends ma propre formation en matière de caméra vidéo. Mais un jour je me suis réveillé en me disant que réaliser des films ne relevait pas que d’une bonne maîtrise de la technique mais également du contenu, qui a une importance intrinsèque. Si je voulais m’engager dans le cinéma, je savais donc ce que je me devais de faire...

Littérature, quand tu nous tiens !

Je me suis intéressé à la littérature en lisant La Métamorphose de Franz Kafka. Drôle de façon pour se lâcher dans le monde littéraire, c’est sûr. Cette lecture avait eu un effet certain sur moi, comme un choc thermique que peut ressentir un Mauricien découvrant pour la première fois l’hiver européen ! Mais le véritable coup de foudre est venu avec la Beat Generation, surtout avec On the Road de Jack Kerouac. Je découvrais alors que je n’étais pas le seul à vouloir vivre ce que j’avais en tête, de foncer, de ne jamais renoncer, quoi qu’il en soit, à réaliser mes rêves. Et quand dans la préface de On the Road, Kerouac affirme s’être inspiré de Louis Ferdinand Céline… s’est ouvert alors un passage obligé pour moi donc. Et de quelle manière ! Je me suis mis à lire Voyage au bout de la nuit de Céline. Jamais n’avais-je eu autant de plaisir à lire un livre, j’étais même triste à chaque fois que je tournais la page car je me disais que je m’approchais inexorablement de la fin de cette envoûtante lecture. J’avais appris une chose de la Beat Generation et je devais la confirmer auprès de Céline : ne jamais se dire que l’on est faible et que l’on ne peut pas... avancer est le meilleur moyen de rester en vie. Se donner à fond dans ce qu’on aime est la voie vers les réponses à toutes nos questions ! De plus, Céline avait fait l’armée, détail non négligeable pour moi.

Maurice en Action !

Mon cinéma n’existe que si le film que je réalise sert à quelque chose. J’aime bien montrer les choses différemment, en s’éloignant considérablement du cliché... ou mieux encore, de jouer de manière créative autour du cliché. “Fabriquer” un film est un moment qu’on partage avec les autres. Que le téléspectateur ne s’ennuie pas est déjà pas mal car je lui vole là des minutes de sa vie... arriver à le faire réfléchir ou penser au film après qu’il l’a vu est pour moi un bonheur extrême ! C’est vrai que vu que je travaille dans la publicité comme concepteur, je suis amené à mieux synthétiser mes idées pour faire passer des messages... si je réussis est autre chose, bien sûr. Il est vrai aussi que le cinéma d’auteur m’importe bien plus que le cinéma commercial ou divertissant. Ajouté à cela mon admiration pour l’île Maurice est telle que je sens comme un devoir de faire découvrir sa beauté authentique et positive au monde entier. Je passe mon temps à regarder autour de moi et je ne vois que la beauté de la nature. Une des raisons d’ailleurs me poussant à chaque fois à raconter des histoires simples dans un cadre purement mauricien ; c’est bien souvent le seul élément réel dans mes fictions. Dommage que l’on n’ait pas à ce jour de vrais encouragements pour nous aider à la réalisation des films, sans rendre nos tâches compliquées, exaspérantes, voire abrutissantes. Qu’on se le dise, les Mauriciens sont talentueux. Plus on les aide à s’améliorer, plus ils deviendront des géants. On commence maintenant à réaliser que notre île peut produire des sportifs de haut niveau. Le moment viendra aussi pour l’art et la culture. C’est à notre génération de montrer qu’on peut aller très loin sans qu’on se fasse aidé par des organismes. Ils finiront bien par se rendre compte qu’il y a du potentiel. C’est peut-être ma devise, et je préfère persévérer bien que je ne reçoive aucune aide des institutions ou des producteurs. D’autre part, je fais de mon mieux pour que Maurice soit présente dans des festivals internationaux, pour que le monde sache que chez nous aussi l’on réalise des films. Les pays avancés manquent souvent cette fraîcheur, dont nous Mauriciens disposons. Là est notre force en effet.

Dans ma tête… ça tourne !

Des histoires simples et des ellipses ! Je ne cherche pas à créer des blockbusters ou à plancher sur des films pour gagner de l’argent. Je peux... enfin je crois, mais cela ne m’intéresse pas. Trouver une idée me procure une satisfaction extraordinaire, je ne suis pas tenté par le côté mondain de la chose. Je trouve plus gratifiant de m’investir dans un film qui fasse de l’effet aux gens que de songer à faire recette. Le sentiment de bonheur que j’ai à chaque fois que je trouve une idée me suffit.
Par ailleurs, faut se dire aussi que le téléspectateur ou cinéphile n’est pas dupe. Il est beaucoup plus intelligent qu’on ne le croit. Il parvient à donner un sens même à quelque chose qui n’a pas de sens. C’est dire la force créatrice du cerveau humain. Justement, ce que je m’efforce d’entreprendre depuis peu avec mes films est d’encourager le téléspectateur ou le cinéphile à compléter l’histoire lui-même, dans sa tête, juste en lui donnant des indices pour que son vécu et son intelligence puissent combiner le tout et donner un sens unique à l’histoire. J’évite quand même de lui imposer un exercice mental lourd et pénible.

Les thèmes qui m’aiment

Je crois que ce n’est plus un secret pour ceux qui connaissent mes films que j’aime bien traiter le thème du sacrifice. J’essaie autant que possible de montrer que très souvent le fait de consentir à des sacrifices nous mène à un autre état et qu’en se soumettant à ce statut de “selflessness” on est bien souvent gagnant. Ma croyance en Dieu me pousse constamment à trouver des histoires où les idées et les questions métaphysiques font souvent surface mais sont vite résolues grâce au deus ex machina. Mais ce qui me donne le “drive” lors du tournage d’un film ce sont surtout les défis que j’essaye systématiquement de relever. Pour Tanga c’était celui de travailler avec des enfants, pour Eros il s’agissait en fait de m’éloigner de Tanga et de m’inscrire dans une science-fiction ; Rouzblézonnver, il était question ici d’apporter une touche novatrice à ma façon de diriger mes acteurs et avec Once Upon A Train de faire revivre l’époque du train.

“Once Upon A Train”

Dernier film en date : Once Upon A Train, récemment en sélection officielle au Festival International de Clermont-Ferrand en France. Je me suis donné beaucoup de peine et j’ai pris plaisir à réaliser ce film. D’abord beaucoup de peine parce que moi qui suis habitué à tourner des courts métrages avec des scripts, je me retrouvais à sortir avec ma caméra sans savoir ce que j’allais filmer réellement. Et c’était encore plus pénible quand j’étais dans la brousse ou dans la boue, au soleil ou sous la pluie, à filmer les ruines et à retracer la route des chemins de fer. A ce moment précis on ne peut que réaliser que le cinéma n’est pas une affaire de paillettes et de tapis rouge, c’est oser et aller vers l’inconnu, c’est se faire piquer par des insectes ou se fouler la cheville, se faire attaquer par des chiens tout en protégeant son matériel. Un peu comme à la guerre... et voilà que je retrouvais finalement la sensation d’être un commando avec ma caméra, rampant, grimpant, sautant dans la boue à l’attaque des images. En effet, réaliser des films, c’est comme partir au combat... et souvent on ne sait pas si l’on en sortira vivant. Cependant, j’ai particulièrement aimé le tournage de ce film car l’idée de le construire au fur et à mesure que je récupérais des images me fascinait. Les idées me venaient facilement et tout prenait place presque sans encombre pendant le tournage. En ces moments-là je me dis que Dieu existe, forcément, car tout finit par s’ajuster et devenir cohérent et précis à chaque tournage. On me le dit très souvent que l’énergie que je mets dans un tournage plaît certainement à Dieu et c’est pour cela qu’Il me vient en aide. Le réel plaisir a été de trouver l’idée de faire évoluer en parfaite symbiose et originalité la partie documentaire et celle de la fiction. Sans basculer nonchalamment dans des reconstitutions des faits, mais en cherchant dans mon imaginaire comment l’existence du train se vivait à l’époque de nos “gran dimounn”.

Once Upon A Train - Un film de Wassim Sookia